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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

gandé, gauche, d’une figure laide et dénuée de toute physionomie. Sa conversation était généralement froide, compassée et peu intéressante. On pouvait passer des soirées entières avec lui en lui entendant jeter, çà et là, dans la conversation des phrases courtes, sans rédaction et sans effet ; mais, si quelque circonstance frappait son imagination, alors le dieu se révélait en lui, sa physionomie s’animait, son regard brillait, son geste s’ennoblissait, sa voix devenait sonore et timbrée ; il s’opérait en lui une véritable métamorphose, mais aussi une surexcitation après laquelle il retombait dans un état d’atonie véritable.

C’était pour lui-même que monsieur Lainé éprouvait ces mouvements d’inspiration ; il n’avait pas besoin d’être exalté par son auditoire. Je lui ai entendu faire, dans ma petite chambre d’Aix, dix morceaux qui auraient été applaudis avec transport s’ils avaient été prononcés à la tribune ; mais aussi, s’il avait fallu répliquer, un instant après, à quelque antagoniste, hormis qu’il n’eut réussi à le mettre en colère, notre brillant improvisateur n’aurait eu ni un mot, ni une pensée à son service.

Monsieur Lainé avait un magnifique talent d’opposition ; personne ne s’élevait plus grandement, plus noblement contre ce qu’il trouvait le mal ; mais le genre même de son éloquence n’était pas gouvernemental. Il était trop irrité contre les arguments de mauvaise foi qu’emploient les partis et, lorsqu’il ne les pulvérisait pas au premier coup, il était incapable de leur faire cette guerre de poste à laquelle les ministres sont astreints. Il m’est resté, des six semaines que j’ai passées à voir monsieur Lainé tous les jours, de l’amitié pour sa personne, de l’admiration pour son éloquence et nulle confiance dans son jugement.

Les équipages de la reine Caroline d’Angleterre tra-