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MONSIEUR LAINÉ

Boigne ne se faisait faute d’en plaisanter lui-même les capucins ses bons amis.

C’est pendant le séjour que je fis aux eaux, cette année, que je vis le plus familièrement monsieur Lainé et que je me confirmai dans l’idée qu’il n’était point du tout homme d’État. Lui-même répétait souvent qu’il n’était nullement propre aux affaires.

Il avait refusé la demande que monsieur de Richelieu lui avait faite de rentrer au ministère. Cependant, par suite de cette inconséquence naturelle à la vanité humaine, il ne laissait pas d’être blessé que ce sacrifice n’eût pas été exigé de son patriotisme.

La grande conspiration militaire, qui se préparait depuis plusieurs mois, éclata au mois d’août de cette année. Monsieur Lainé en recevait les détails par chaque courrier. Il n’arrivait que deux fois la semaine.

Monsieur Lainé ouvrait ses lettres avec le frisson et leur lecture déterminait un accès de fièvre, soit qu’elles lui apportassent l’espoir ou l’inquiétude. Il venait les attendre chez moi, et je l’ai vu passer alternativement, trois fois en dix jours, de la confiance absolue à un entier découragement : tout était sauvé ; tout était perdu.

Il déduisait alors les motifs de ses craintes ou de ses espérances avec une éloquence bien propre à entraîner mais qui perdit bientôt toute influence sur mon esprit par la mobilité des impressions qu’elle exprimait. Et c’était moi, faible femme, qui cherchais à le remonter en lui répétant ses arguments de la veille ; mais il ne les écoutait plus dès que son imagination se trouvait autrement frappée. Après avoir fait son hymne de joie ou de désespoir, il retournait chez lui, se mettait au lit, avait un accès de fièvre, et attendait le jour de poste en devisant plus tranquillement dans l’intervalle.

Monsieur Lainé était un homme grand, sec, dégin-