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PRÉVENTIONS CONTRE M. DECAZES

ayant pris le change, on ne chercha pas à le désabuser. Il fut établi, à la halle, que monsieur Decazes avait armé le bras de Louvel ; et un député osa le dénoncer, à la Chambre, comme complice du crime. Cela ne supportait pas un moment d’examen. Mais la passion ne raisonne pas, et les gens de parti aiment mieux profiter de l’aveuglement des masses que de chercher à les éclairer.

D’un autre côté, on faisait valoir au château les douleurs de madame la duchesse de Berry. En supposant que ses répugnances fussent injustes, le Roi pouvait-il exiger qu’elle vît l’homme qui lui en inspirait de si vives ? Son désespoir, son état n’exigeaient-ils pas des ménagements ?

L’exaltation fut poussée au point que monsieur Decazes n’était plus en sûreté. Un frémissement menaçant se faisait entendre autour de lui quand il traversait les salles des gardes du corps, et sa vie était en danger dans tous les carrefours. Le Roi céda. Il s’agissait de le remplacer au ministère. Il était président du conseil et ministre de l’intérieur. Monsieur se chargea d’aplanir les difficultés.

Depuis que monsieur Pasquier avait remplacé le général Dessolle aux affaires étrangères, le duc de Richelieu avait prêté un amical et un loyal appui au ministère dont monsieur Decazes était le chef. Pour témoigner de sa bienveillance, il venait d’accepter la commission d’aller complimenter le roi George IV. La mort de son vieux père l’avait rendu souverain titulaire du pays qu’il gouvernait depuis quinze années comme prince régent.

Le duc devait partir à l’heure même où monsieur le duc de Berry expirait ; son voyage fut retardé. Le Roi lui fit proposer de remplacer monsieur Decazes ; il refusa. Monsieur l’envoya chercher, il le supplia d’accepter ; le duc de Richelieu refusa de nouveau et plus péremptoirement vis-à-vis du Prince. Enfin, poussé jusque dans ses