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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

dre. Il nous imposa le silence, en promettant de revenir aussitôt que le Prince serait arrivé chez lui.

Nous restâmes, madame de Mortefontaine et moi, assises l’une près de l’autre et osant à peine nous regarder dans la peur d’éclater. Mais bientôt de nouveaux avertissements parvinrent dans ce salon où les plaisirs régnaient encore. Je n’oublierai jamais son aspect. Les groupes éloignés de la porte étaient livrés à la gaieté et aux rires, tandis que ceux plus rapprochés recevaient successivement la sinistre nouvelle et que la consternation gagnait de place en place, mais pourtant assez lentement. Personne ne voulant s’en faire le héraut, elle circulait tout bas de proche en proche.

Les hommes, qui pouvaient se débarrasser des costumes dont ils étaient affublés, se précipitaient dans les rues pour aller aux informations. Ceux qui avaient des devoirs à remplir couraient chez eux pour prendre leur uniforme. Bientôt nous nous trouvâmes entre femmes.

Il ne resta que monsieur de Mun, qui, vêtu en dame du château, lacé, colleretté, falbalassé, emplumé, ne pouvait se déshabiller. Il resta dans ce costume, toute la nuit au milieu des allants et des venants, des aides de camp, des valets, des ordonnances, car les messagers de toutes sortes ne nous manquaient pas, sans que personne, ni lui, ni nous, ni les survenants ne pensassent à le remarquer, tant le trouble était grand. Ce n’est que par la réflexion que nous nous en sommes souvenues.

Nous apprîmes que, loin que monsieur le duc de Berry fût venu à l’Élysée, madame de Gontaut avait reçu ordre de porter la petite Mademoiselle à l’Opéra et les femmes de madame la duchesse de Berry de l’y aller joindre. Enfin, à quatre heures du matin, on vint nous dire, du poste de l’Élysée, que les nouvelles étaient meilleures, que le prince avait été pansé, qu’il était calme et qu’on