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BAL À L’ÉLYSÉE

En revanche, sa belle-sœur avait celui d’une maussade pensionnaire. Elle ne faisait politesse à personne, ne s’occupait que de sauter et courait sans cesse après monsieur le duc de Berry pour qu’il lui nommât des danseurs. Il ne voulait pas qu’elle valsât, et elle prenait une mine boudeuse toutes les fois que les orchestres jouaient une valse. Il est difficile d’être moins à son avantage et plus complètement une sotte petite fille que madame la duchesse de Berry ce jour-là. Il n’approchait que trop celui où elle devait montrer une distinction de caractère que personne ne lui supposait.

Je me rappelle pourtant avoir entendu raconter à monsieur le duc de Berry que, se trouvant un jour avec elle dans une voiture dont les chevaux s’emportaient, elle avait continué à parler sans que le son de sa voix s’altérât, qu’il avait fini par lui dire :

« Mais, Caroline, tu ne vois donc pas ?

— Si fait, je vois ; mais, comme je ne puis arrêter les chevaux, il est inutile de s’en occuper. »

La voiture versa sans que personne fût blessé. Madame la duchesse de Berry est une des créatures les plus courageuses que Dieu ait formée.

L’étiquette ne permettait pas de quitter le bal avant les princes. J’étais exténuée de fatigue lorsque je rencontrai monsieur le duc de Berry après le souper. Il me parut de très bonne humeur et enchanté de l’effet de son bal.

« Vous n’en pouvez plus, me dit-il, allez-vous-en. »

Je fis quelques difficultés.

« Allez, allez, c’est moi qui vous chasse. Bonsoir, ma vieille Adèle. »

C’était son terme d’amitié envers moi. Voilà les derniers mots que je lui ai entendu prononcer. La poignée de main qui les accompagna fut aussi la dernière que