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APPENDICE x

ce 6 août [1848].

Vous avez écrit à ma pauvre tante, chère Madame, une bonne, longue et si tendre lettre qu’elle lui a fait du bien. Elle me charge de vous en remercier vivement. Votre langage est si tendre, si délicat, si sensible et si sensé que, de toutes façons, il devait arriver à son cœur. C’est avec une extrême émotion qu’elle l’a entendu. Elle veut que je vous dise combien vous avez bien su lui dire les seules choses qu’elle puisse entendre. Ses impressions, ses sentiments sont en parfaite harmonie avec ceux que vous exprimez ; elle se travaille dans le sens même que vous lui conseillez et elle dit qu’elle croit qu’elle obtient quelque chose. Peut-être, en effet, commence-t-il à y avoir quelque chose de moins âpre, de moins amer dans sa douleur ; mais, il ne faut pas se le dissimuler, le vide est infini. Rien ne l’intéresse plus, rien ne la touche plus, elle est comme absente d’elle-même. À force de prières, j’ai obtenu qu’elle sortit un peu presque tous les jours (elle ne voulait plus sortir de son appartement), mais c’est là tout. Elle ne dort point et sa pâleur est effrayante. Quand je m’inquiète de sa santé, elle me répond qu’elle s’étonne encore de supporter de tels coups. J’aurais voulu pour tout au monde lui faire quitter Paris ne fut-ce que pour quinze jours ; je n’obtiens rien, car je compte bien peu sur la promesse qu’elle me fait de venir me retrouver en Normandie. Aussi, chère Madame, j’ai le cœur bien navré. Ma santé est si détruite que, depuis six mois, je ne crois pas avoir eu huit jours sans souffrance. On me presse d’aller prendre les eaux bonnes à la campagne puisque je ne peux pas aller les prendre aux Pyrénées, et je partirai samedi prochain pour profiter des derniers jours de chaleur. Mais, quoiqu’il en soit, je ne consentirais peut-être pas à partir si je n’espérais un peu que cette absence la déterminera à partir aussi.

Voilà où nous en sommes. M. Ampère ne la quittera pas. Si elle venait en Normandie, il irait passer ce temps en Angleterre et Paul l’accompagnerait chez moi, mais, je le répète, j’espère bien peu qu’elle se décide. Ses pauvres yeux ont