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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

bien long-tems, et il semble frapper à l’improviste. Il a une fièvre violente, une toux presque continuelle. Il ne dit rien et souffre avec une admirable résignation.

Ma pauvre tante épie là, au pied de ce lit, une parole, un mot, un adieu, qui ne viendront peut-être pas. Mais il sait qu’elle est là et n’y souffre nul autre.

Je vous ferai donner le bulletin de la journée et de la nuit prochaine, si tout n’est pas fini avant la nuit.

Mille hommages.
Jeudi [6 juillet 1848].

Je ne reçois rien de vous, chère Madame, mais vous devez avoir appris par M. Lenormant la fin de M. de Chateaubriand ; hélas ! vous devinez bien l’état de ma pauvre tante. Elle ne peut croire encore à ce malheur ; l’étourdissement de ce terrible coup, la fatigue physique l’empêchent de sentir le vide dont je suis plus épouvantée que je ne puis dire. Il faut espérer que le bon Dieu nous viendra en aide, car je ne sais ce qui serait assez puissant pour la soutenir dans de tels momens, si ce n’est une grâce d’en haut.

La cérémonie religieuse aura lieu samedi à midi précises à l’église des Missions ; le corps, déposé d’abord dans les caveaux, sera dans quelques jours transporté à St  Malo.

À partir du dimanche après la réception des derniers sacremens, que M. de Chateaubriand a reçu avec toute sa connaissance et beaucoup de joie, il n’a plus adressé un mot à qui que ce soit. La fièvre qui avait une terrible intensité l’accablait, il était très rouge et entendait pourtant sans doute ce qui se faisait autour de lui, car il faisait un effort pour soulever ses paupières quand on s’approchait du lit, mais hélas, n’y parvenait pas. Mardi, à huit heures et demie, sa vie s’est éteinte tout doucement, sans agonie, sans souffrance. Ma pauvre tante, M. Louis de Chateaubriand, l’abbé de Guerry et une sœur de Marie-Thérèse étaient seuls présents dans cette chambre à ce solennel moment.

On n’a point retrouvé de testament ; les scellés ont été