Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.
260
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

pour en chercher de nouvelles ; personne plus que moi n’est pénétré de ces puissantes admirables expressions de Shakespeare

« those friends thou hast, and their adoption tried »
« grapple them to thy soul with hooks of steel. »

Je veux répondre à votre procédé avec tendresse, et sans récrimination ; j’irai vous voir incessament ; s’il ne s’agissoit que de vous aimer comme une ancienne connoissance, de m’en tenir à l’agrément de votre esprit, à la distraction d’une des maisons les plus agréables qui existent encore à Paris, ce seroit déjà fait, ou plutôt, je ne vous aurois témoigné aucun dissentiment. Vous n’avez à vous plaindre de mes froideurs que parce que vous étiez placée beaucoup plus intimement dans mon affection, dans mon estime, dans ma confiance ; encore une fois, je le répète, j’irai vous voir à ma 1re  course au val, je vous serrerai la main comme autrefois, et nous essayerons tous deux de fermer cette playe et de guérir cette profonde blessure.

Je retourne demain pour quelques jours à la r. de l’université ; et bien loyalement je vous déclare, ma chère adèle, que j’ai été bien sensible à la lettre [que] je réponds.

Je remets à Mad. Recamier ce mot pour vous, je pars pour Genève, et vous savez les consolations que j’y vais chercher : ne seroit-ce que ce secret, en commun avec moi, notre amitié seroit éternelle, et à l’abri des révolutions ; la France, le pauvre pays pourroit être bouleversée dans ses entrailles que notre vieille amitié fraternelle n’en pourroit être altérée, n’importe la différence de nos couleurs.

Ainsi pardonnez moi ma solitude, et jurez moi amitié ; c’est un serment qui ne sera changé, ni violé par moi.

Adrien.
Samedi 28.


Écrivez à M. Louis Bellanger, poste restante à Genève.