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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

phine qui annonçait son retour décidèrent le conseil à signer ces historiques ordonnances que les directeurs occultes du Roi réclamaient depuis longtemps et que Charles X souhaitait de toute sa persévérante obstination. C’est bien de lui qu’on a pu dire avec vérité : « Il n’a rien appris, il n’a rien oublié. »

On m’a raconté qu’au dernier conseil, tenu le dimanche, ces fatals papiers, dont la teneur avait été discutée et convenue le mercredi précédent, se trouvèrent sur la table ; mais, au moment de les signer, toutes les mains semblèrent se paralyser. Le nom du Roi y était apposé ; il s’impatientait des hésitations et sortit du cabinet. Alors monsieur de Polignac, qui a toujours plus de cœur que de cervelle pour savoir le conduire, prit la plume et mit le nom de Polignac sous celui de Charles : « Maintenant, messieurs, dit-il, la signature du Roi est légalisée ; la vôtre n’est plus nécessaire, vous signerez si vous voulez. Pour moi, je ne crains pas la responsabilité de mes actes. » Tous signèrent a l’envi.

Malgré le secret dont on entourait cette déplorable décision, il en perçait assez pour provoquer une sérieuse inquiétude. Toutefois, on voyait une telle incurie dans les gens chargés des affaires publiques que les indiscrétions des ultras et des amis du Roi n’éveillaient pas suffisamment l’attention. Cependant plusieurs prêtres avaient parlé, même en chaire, de l’abaissement prochain de l’impie.

Les jésuites se montraient plus exultants que jamais. Le conseil de conscience du Roi ne cachait pas sa satisfaction, et enfin monsieur Rubichon avait révélé à monsieur Greffulhe le texte même des ordonnances sans réussir à le persuader. Cela paraissait si extravagant que l’on n’y pouvait croire, d’autant que rien n’annonçait