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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Charles x avait une voix criarde et peu sonore, ne prononçait pas clairement et lisait mal ses discours. Sa grâce accoutumée l’abandonnait dans ces occasions. Des circonstances fortuites contribuaient aussi à le gêner ; sa vue étant baissée, on écrivait les paroles qu’il devait prononcer en très gros caractères et il en résultait la nécessité de tourner constamment des feuillets, ce qui nuisait à son maintien.

Lorsque, ce jour-là, il en vint à la phrase menaçante, il voulut lever la tête d’une façon plus imposante, en même temps qu’il retournait sa page. Dans ce petit travail, son chapeau mal affermi s’ébranla, et les diamants dont il était orné le firent tomber bruyamment aux pieds de monsieur le duc d’Orléans. Celui-ci le ramassa et le tint jusqu’à la fin du discours. Bien des gens firent attention à cette circonstance.

J’allai le soir au Palais-Royal où j’en parlai. Madame la duchesse d’Orléans me saisit le bras : « Oh ! ma chère, taisez-vous ; est-ce qu’on l’a remarqué ?… Madame la Dauphine l’a bien vu, elle aussi. Je n’ai pas osé la regarder ; mais je suis sûre qu’elle a été fâchée… J’espère qu’on n’en parlera pas. »

Mademoiselle ajouta : « Pourvu que les gazettes ne s’en emparent pas pour faire leurs sots commentaires ! »

On était d’autant plus ému de ce petit incident au Palais-Royal que, précisément le 6 janvier de cette année où tous les princes, selon l’usage, s’étaient réunis pour tirer le gâteau chez le Roi, la fève était tombée à monsieur le duc d’Orléans, et madame la Dauphine en avait témoigné assez d’humeur !

Il surnageait ainsi une sorte de pressentiment partagé par le pays tout entier ; car les gens les plus éloignés de souhaiter le renversement de la branche aînée, en voyant les déplorables embarras où elle se plongeait de