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LE MINISTÈRE POLIGNAC

Avouons tout de suite que, malgré l’aveuglement habituel de monsieur de Polignac, il fut renversé lorsqu’en arrivant de Londres il trouva les collègues que le Roi lui avait préparés ; mais il était bien engagé et, d’ailleurs, il désirait trop le ministère pour avoir la pensée de reculer.

Un billet de monsieur Pasquier m’apprit, le 7 août, que tous ces formidables noms paraîtraient le lendemain dans le Moniteur.

J’allai faire une visite à Lormoy, chez la duchesse de Maillé. J’y racontai tristement ma nouvelle ; monsieur de Maillé se mit à rire ; rien n’avait moins de fondement : il arrivait ce matin-là même de Saint-Cloud ; il avait vu monsieur de Martignac la veille en pleine sécurité et faisant des projets pour la session prochaine (et cela était vrai) ; le Roi l’avait traité à merveille. D’ailleurs, le duc de Maillé connaissait bien la figure préoccupée, triste, agitée du monarque lorsqu’il s’agissait d’une seule personne à changer dans son ministère, et jamais il ne lui avait trouvé l’aspect plus serein, l’esprit plus libre que la veille. Il avait fait sa partie de whist pendant laquelle il n’avait cessé de faire des plaisanteries, etc… Ma nouvelle n’avait pas le sens commun.

Au reste, je lui dois la justice que, s’il y avait cru, il en aurait été fort effrayé, et le portrait qu’il me fit de l’ambitieuse et intrigante nullité de Jules prouvait qu’il l’appréciait bien.

En revenant à Châtenay, je trouvai le duc de Mouchy qui venait me demander à dîner. Quoiqu’il arrivât de Paris, il ignorait le nouveau ministère ; mais il n’en accueillit pas la nouvelle avec la gaie incrédulité du duc de Maillé. Lui aussi cependant avait lieu de croire à la pleine sécurité de monsieur de Martignac.

Il m’exprima une profonde tristesse, puis ajouta :