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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

ce résultat, le Roi qui voulait faire écrouler le ministère en le minant et monsieur Hyde de Neuville qui voulait dégager sa parole en y forçant l’entrée de monsieur de Chateaubriand. Cette double intrigue réussit à écarter tous les candidats et, entre autres, le duc de Mortemart fort désiré par monsieur de Martignac. Je tiens du duc lui-même que monsieur de Martignac lui demanda comment il pouvait résister aux vives instances du Roi. Il répondit que le Roi ne lui avait jamais témoigné le moindre désir de le voir entrer au conseil.

« C’est étonnant, mais, s’il ne vous a pas encore parlé, il vous en parlera. »

En effet, le Roi fit appeler monsieur de Mortemart : « Eh bien ! lui dit-il, vous ne voulez donc pas entrer avec eux ? »

Monsieur de Mortemart déclina ses raisons, toutes personnelles. Le Roi les combattit très faiblement, comme on débite une leçon, puis il ajouta :

« Au fond, je n’en suis pas fâché, vous avez raison. Il vaut mieux ne pas vous associer avec ces gens-là. »

Voilà quelles furent les instances irrésistibles du Roi. Monsieur de Mortemart, éminemment loyal, chercha à éclairer monsieur de Martignac sur sa situation ; mais il ne put lui persuader qu’il ne jouissait pas de la confiance entière du monarque.

Le duc de Mortemart, que les événements ont appelé à jouer un rôle politique qu’il n’a pas cherché et qu’il n’avait pas l’étoffe nécessaire pour soutenir dans des circonstances aussi perplexes, est un homme parfaitement loyal, honnête, indépendant, français de cœur, ne manquant ni d’esprit ni de raison. À la Cour de Charles X, il était un véritable phénix ; et le pays qui, au fond, ne demandait qu’à s’accommoder avec la Restauration, s’attacha sincèrement à un grand seigneur qui ne le répu-