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LA PETITE MADEMOISELLE

les cheveux d’un ébouriffage, peut-être très classique, mais horriblement mal seyant, et s’était affublée d’une longue veste d’hermine, avec le poil en dessus, qui lui donnait l’air d’un chien noyé. La chaleur de ce costume lui avait rougi la figure, le col et les épaules, qui ordinairement étaient très blancs, et jamais on n’a pris des soins plus heureusement réussis pour se rendre effroyable.

La petite Mademoiselle assistait à cette fête et s’en allait, de banquette en banquette, recueillant des suffrages d’admiration pour monsieur le duc de Chartres. La sienne paraissait très exaltée, et elle affichait pour lui une passion que ses dix années, point encore achevées, rendaient gracieuse. Cette jeune princesse promettait d’être fort accomplie, plutôt que jolie. Je n’ai pas eu l’honneur de l’approcher familièrement ; mais je la voyais quelquefois chez madame de Gontaut, et elle me paraissait très gentille. Elle comblait madame la duchesse d’Orléans de caresses et répétait souvent : « J’aime bien ma tante ; elle est bien bonne et puis elle est la mère de mon cousin Chartres. » Elle ne manquait jamais d’offrir ce cousin pour modèle à monsieur le duc de Bordeaux qu’elle régentait avec toute la supériorité de l’âge et de l’esprit.

Toute petite, elle s’intéressait déjà aux événements publics et savait très bien faire des politesses marquées à un homme politique, sans en être spécialement avertie. Madame de Gontaut, ayant compris que l’enfance d’une princesse ne doit pas être soumise à la même nullité d’impression que celle d’une particulière, encourageait à causer de toutes choses devant Mademoiselle qui n’avait pas tardé à y prendre intérêt. Il fallait d’ailleurs occuper une imagination très active, et surtout éclairer une disposition orgueilleuse qui n’était plus propre au temps où nous vivons.