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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

ments. Quand j’entrevois l’histoire, ce n’est jamais que par le côté du commérage et de son rapport avec les individus que j’ai connus ; mais, comme j’aurai probablement à revenir sur ces ordonnances, dites de Juin, il m’a fallu les noter, ainsi que la part sincère que monsieur le Dauphin avait prise à leur rédaction.

Le Roi les garda quinze jours avant de les signer ; elles furent soumises à l’inspection de ses directeurs spirituels. Les chefs des jésuites les consentirent ; ils comprirent qu’en voulant résister dans ce moment ils seraient brisés, et ils crurent plus habile de plier, sûrs de trouver l’assistance du Roi quand les circonstances leur paraîtraient propices à se redresser.

Le Roi signa donc, en sûreté de conscience et nanti de toutes les autorisations de ses conseillers occultes, mais avec un chagrin profond dont nous retrouverons souvent les traces.

Quant à monsieur le Dauphin, ce fut son dernier acte de sagesse. Depuis ce moment, il ne cessa de s’éloigner de plus en plus des idées qu’il avait professées jusque-là. L’élection du général Clausel, comme député, acheva de le jeter dans les rangs des ultras. Il n’avait pu pardonner à cet officier l’expulsion de madame la duchesse d’Angoulême de Bordeaux, pendant les Cent-Jours, et il conçut de sa nomination un excès de déplaisance qui tenait de la monomanie.

Depuis cette époque, on ne retrouva plus en lui une seule lueur de ce bon sens sur lequel la France avait fondé des espérances pendant plusieurs années. Ce changement, qui bientôt fut connu de tout le monde, et l’éducation qu’on donnait à monsieur le duc de Bordeaux ameutèrent les passions contre la branche aînée et préparèrent la chute qui s’effectua en trois jours parce que toutes les racines étaient sapées, une à une, depuis plusieurs mois.