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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

était sublime, Sylla, Léonidas, et enfin Charles VI où il avait réussi à se montrer constamment roi au milieu de toutes les misères de l’humanité. Je ne pense pas que l’art de l’acteur puisse aller au delà. Nos pères cependant nous assuraient Le Kain très supérieur à Talma. Nous n’avons pas eu jusqu’ici à le vanter à la génération nouvelle au mépris d’un autre, car personne ne s’est présenté pour recueillir sa succession.

Talma en France et mistress Siddons en Angleterre m’ont paru ce qu’il pouvait y avoir de plus parfait au théâtre, car ils se transformaient complètement dans le personnage qu’ils représentaient ; et, de plus, l’un et l’autre étaient si beaux et si gracieux, leur voix était si harmonieuse, que chacune de leur pose composait un tableau aussi agréable à l’œil que leurs accents étaient flatteurs pour l’oreille. Une de mes prétentions (car qui n’en a pas une multitude ?) est de n’être pas exclusive. Ainsi j’aurais grande joie à entendre un acteur ou une actrice qui me fissent autant de plaisir que Talma et mistress Siddons ; mais je doute que cela se rencontre, de mon temps.

Le 21 janvier 1827, le général Pozzo et le duc de Raguse arrivèrent chez moi de très bonne heure. J’avais eu quelques commensaux à dîner ; à peine le dernier fut-il sorti que l’ambassadeur, regardant le maréchal, lui dit : « Hé bien ? »

Celui-ci cacha sa figure dans ses deux mains en répondant : « J’en suis encore horrifié. »

On comprend que ce début excita notre curiosité. Ils nous racontèrent qu’en sortant de la cérémonie expiatoire de Saint-Denis, le maréchal, qui suivait à quelques pas le prince de Talleyrand par une sortie privilégiée, avait vu un homme s’avancer sur lui, lui adresser quelques injures et simultanément lui appliquer sur la joue un