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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Son deuil avait été un prétexte pour s’entourer d’une Cour à part. Elle avait eu soin de la choisir jeune et gaie. Le monument et la fondation pieuse qu’elle élevait à Rosny, pour recevoir le cœur de son mari, l’y avait attirée dans les premiers temps de sa douleur. Les courses fréquentes devinrent des séjours. Elle y reçut plus de monde ; elle se prêta à se laisser distraire et, bientôt, les voyages de Rosny se trouvèrent des fêtes où l’on s’amusait beaucoup. Rien n’était plus simple. Toutefois, je n’ai jamais pu me réconcilier au goût de la princesse pour la chasse au fusil.

Madame de La Rochejaquelein le lui avait inspiré. Ces dames tiraient des lapins, et, pour reconnaître ceux qu’elles avaient tués, elles leurs coupaient un morceau d’oreille avec un petit poignard qu’elles portaient à cet effet et mettaient ce bout dans la poitrine de leur veste. À la rentrée au château, on faisait le compte de ces trophées ensanglantés. Cela m’a toujours paru horrible.

Madame de La Rochejaquelein portait dans ces occasions un costume presque masculin. Madame la duchesse de Berry, enchantée de ce vêtement, fut arrêtée dans son zèle à l’imiter par la réponse sèche de sa dame d’atour, la comtesse Juste de Noailles, qu’elle chargeait de lui en faire faire un pareil :

« Madame fera mieux de s’adresser à un de ces messieurs ; je n’entends rien aux pantalons. » Ni madame de Noailles, ni madame de Reggio n’étaient parmi les favorites de la princesse.

La malignité ne tarda guère à s’exercer sur la conduite de madame la duchesse de Berry ; mais, comme elle désignait monsieur de Mesnard, qui avait trente ans de plus qu’elle et dont les assiduités étaient motivées par la place de chevalier d’honneur qu’il occupait auprès d’elle, le public, qui le tenait plutôt pour une espèce de mentor,