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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

constamment refusé son approbation et ne consentit pas même à assister à la cérémonie, lorsque madame de Talmont, ayant atteint vingt et un ans, se décida à la faire célébrer. Le duc de Duras, quoique très récalcitrant, accompagna sa fille à l’autel.

Il est assez remarquable qu’elle s’est mariée deux fois le jour anniversaire de sa naissance, à l’époque juste où la loi le permettait. Le jour où elle a eu quinze ans, elle a épousé le prince de Talmont au milieu des acclamations de sa famille, et, le jour où elle en a eu vingt et un, elle a épousé monsieur de La Rochejaquelein, malgré sa réprobation.

Le grand mérite de monsieur de La Rochejaquelein, aux yeux de sa nouvelle épouse, était son nom vendéen et l’espoir qu’elle serait appelée à jouer un rôle dans les troubles civils de l’Ouest.

Félicie de Duras sortait à peine de l’enfance lorsque le manuscrit de monsieur de Barante (connu sous le nom des Mémoires de madame de La Rochejaquelein), circula dans nos salons. Ce récit s’empara de sa jeune imagination. Depuis ce temps, elle a constamment rêvé la guerre civile comme le complément du bonheur, et, pour s’y préparer, dès qu’elle a été maîtresse de ses actions, elle a été à la chasse au fusil, elle a fait des armes, elle a tiré du pistolet, elle a dressé des chevaux, elle les a montés à poil, enfin elle s’est exercée à tous les talents d’un sous-lieutenant de dragons, à la grande désolation de sa mère et à la destruction de sa beauté qui, avant vingt ans, avait succombé devant ce régime de vie.

Madame de La Rochejaquelein s’est donné depuis 1830 la joie de courir le pays le pistolet au poing, d’y fomenter des troubles, d’y attirer beaucoup de malheurs et de ruines. Je ne sais si la réalité de toutes ces choses lui aura paru aussi charmante que son imagination les lui