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peut-être avec trop d’humilité, notre patois, est l’un des témoins les moins mal conservés de la vieille langue des troubadours, qui elle-même ne fut autre chose qu’une des variétés provinciales du latin populaire, dit lingua rustica, qui était parlé dans tout l’empire romain, et qui a donné naissance aux diverses langues modernes dites néo-latines ou romanes, et dont les principales sont le français, l’italien et l’espagnol. Mais existe-t-il quelque part un thesaurus de cette langue du Rouergue où tous les mots qui lui appartiennent se trouveraient rassemblés, et où le philologue pourrait les étudier et les disséquer à loisir  ? Le dictionnaire patois que la Société fait imprimer en ce moment era, sans nul doute, une œuvre utile  ; cependant, en admettant que l’auteur, le regrettable abbé Vayssier, ait été assez heureux pour réunir et consigner dans son recueil la totalité des expressions présentement en usage dans le parler de nos paysans, son inventaire de la lexicologie rouergate n’en restera pas moins pour cela fort incomplet. On ne devrait pas l’oublier, et on l’oublie pourtant, ce patois était encore une langue écrite et littéraire il n’y a guère que trois siècles de cela. Depuis lors, c’est-à-dire du moment où la France du nord a porté le dernier coup à l’autonomie de nos provinces méridionales et leur a imposé son administration et son langage, une foule d’expressions de l’idiome indigne, notamment toutes celles dont l’emploi était réservé à la société polie et aux lettres, sont tombées en désuétude. Elles n’ont pourtant pas cessé de lui appartenir de droit sinon de fait, d’en constituer une portion intrinsèque, et elles doivent par conséquent y être réintégrées.

Cette restitution pourra s’opérer à l’aide de la paléographie, qui a été trop peu cultivée et trop peu encouragée parmi nous jusqu’ici. Beaucoup de documents en rouergat subsistent encore ; il faut s’empresser de les réunir, de les déchiffrer et d’en publier le plus grand nombre possible. Notre vieux rouergat reconstitué, remis en possession de tout ce que la conquête française lui fit perdre et lui fait perdre chaque jour davantage en le menant d’une extinction prochaine, inévitable, et à beaucoup d’égards