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M.D.LXXIIII.
Eſtat de France

ſeule liberté, les hommes ne la deſirent point : non pas pour autre raiſon (ce me ſemble) ſinon pource que s’ils la deſiroyent, ils l’auroyent : comme s’ils refuſoyent faire ce bel acqueſt ſeulement, par ce qu’il eſt trop aiſé.

Pauures gens & miſerables, peuples inſenſez, nations opiniaſtres en voſtre mal, & aueugles en voſtre bien, vous-vous laiſſez emporter deuant vous le plus beau & le plus clair de voſtre reuenu, piller vos champs, voller vos maiſons, & les deſpouiller des meubles anciens & paternels ! vous viuez de ſorte, que vous pouuez dire, que rien n’eſt à vous. Et ſembleroit, que meshuy ce vous ſeroit grand heur, de tenir à moitié vos biẽs vos familles & vos vies : & tout ce degaſt, ce malheur, ceſte ruine vous vient, non pas des ennemis, mais bien certes de l’ennemy, & de celuy que vous faites ſi grand qu’il eſt, pour lequel vous allez ſi courageuſement à la guerre, pour la grandeur duquel vous ne refuſez point de preſenter à la mort vos perſonnes. Celuy qui vous maiſtriſe tant, n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’vn corps, & n’a autre choſe que ce qu’a le moindre homme du grand nombre infiny de vos villes : ſinon qu’il a plus que vous tous, c’eſt l’auantage que vous luy faites, pour vous deſtruire. D’où a-il prins tant d’yeux ? d’où vous eſpie il, ſi vous ne les luy donnez ? Comment a il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos citez, d’où les a-il, s’ils ne ſont des voſtres ? Comme a-il aucun pouuoir ſur vous, que par vous autres meſmes ? Comment vous oſeroit-il courir ſus,