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XXXII

répétait ses expériences devant ses auditeurs émerveillés. « C’était un spectacle frappant de le voir dans son laboratoire, a dit Renan, pensif, triste, absorbé, ne se permettant pas une distraction, pas un sourire. Il sentait qu’il faisait œuvre de prêtre, qu’il célébrait une sorte de sacrifice. « C’est là qu’il faut aller, a écrit de son côté Paul Bert qui y a travaillé près de lui, si l’on veut le connaître avec son esprit toujours en action et cependanttoujours calme, avec sa merveilleuse faculté de tout voir, avec ses témérités expérimentales qu’égalait seule sa difficyté à être satisfait de lui-même, avec son prodigieux esprit d’invention et sa patience non moins prodigieuse, avec son étrange intuition qui lui faisait deviner en artiste la vérité qu’il allait démontrer en savant, avec son dédain des théories considérées autrement que comme des instruments de recherche ou une satisfaction transitoire de l’esprit, avec sa facilité à en changer, sa facilité plus grande et plus singulière encore à changer de sujet d’étude lorsque l’expérience lui apportait un fait inattendu, avec son apparent désordre et son admirable esprit de suite, mais aussi avec ses inégalités de pensée et de style : tel enfin que nous l’avons connu au laboratoire, en négligé, étrangement attentif et distrait, prêt à saisir tout ce qui se passe, et des yeux tout autour de la tête. C’est là qu’on admirera la sûreté de son jugement, son dédain pour les tendances à l’absolu, pour la fausse précision, son sentiment exquis des expériences comparatives. Tout est physiologique en lui, tant il est profondément pénétré de la complexité des phénomènes et de l’importance primordiale des conditions où ils s’accomplissent, conditions qu’on ne doit jamais isoler de la conclusion ».

Poursuivie jusque là sans discontinuité, cette longue série de recherches fut interrompue brusquement en 1865 par la grave maladie qui le retint longtemps à Saint-Julien, comme il a été dit tout à l’heure, et au cours de laquelle, voulant faire profiter les autres du fruit de ses méditations, il composa son Introduction ce la Médecine expérimentale. Ce fut, pour tous les hommes de science, une véritable révélation.