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VII

L’année suivante, avec son ami Lasègue, il essaya de fonder, rue Saint-Jacques un laboratoire privé pour la Physiologie. C’était dans un moment où Magendie, qui supportait avec impatience la supériorité de Bernard, avait été jusqu’à lui interdire de travailler pour lui dans un laboratoire où rien ne devait se faire qui n’appartînt au maître. Mais l’établissement ne réunit que cinq ou six élèves et ne fit jamais les frais du hangar qui l’abritait, ni des lapins qu’on y sacrifiait. Il fallut y renoncer et s’en tenir désormais aux très maigres ressources du labora. toire officiel, où Magendie ne venait plus d’ailleurs que de loin en loin.

C’était une sorte de cave ; Paul Bert, qui y a vécu, a dit « une tanière », obscure, humide, mal ventilée et insalubre, où sa constitution, pourtant très robuste, eut beaucoup à souffrir et à la longue s’altéra peut-être même y a-t-il contracté le germe de la maladie qui l’a emporté. Berthelot, qui la connaissait aussi et n’en doutait pas, a osé dire « Elle a dévoré Bernard » C’est là pourtant que, dans un travail incessant, il passa la meilleure part de son existence, excepté les quelques semaines de vacances réservées chaque année à Saint-Julien. C’est là que, sans instruments, sans argent et presque sans aides officiels, il a su faire tant de belles découvertes, écloses coup sur coup dans les sept premières années, de 1844 à 1851 sur les nerfs crâniens, sur les liquides intestinaux, sur la glycogénie du foie, sur le diabète, sur le curare, sur les nerfs vaso-moteurs, pour ne citer ici que les principales, découvertes que l’Académie des Sciences a récompensées quatre fois, en 1845, 1849, 1851 et 1853, par le prix de Physiologie expérimentale. « J’ai connu, a-t-il dit plus tard, la douleur du savant qui, faute de moyens matériels, ne.peut entreprendre ou réaliser les expériences qu’il conçoit et est obligé de renoncer à certaines recherches ou de livrer sa découverte à l’état d’ébauche » Et pourtant, comme l’a écrit Renan, « les vérités qui sortaient de ce triste réduit éblouissaient tous ceux qui savaient les voir »