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eut fini, il mit le papier dans sa poche et n’en parla plus. Un instant de silence universel suivit, et l’on passa à d’autres sujets.


Ce passage de Biot, un autre de Laplace dans l’Exposition du Système du Monde, nous montrent qu’au commencement du siècle dernier les géomètres français croyaient à la possibilité d’une démonstration du fameux postulatum d’Euclide. Il n’y avait à cette époque en Europe que l’illustre Gauss, qui fût en possession de la vérité. Ses méditations l’avaient conduit à cette conclusion qu’en supprimant le postulatum d’Euclide et conservant les autres axiomes, on est conduit à une géométrie qui peut se développer indéfiniment sans présenter de contradiction. Gauss n’a rien publié de ses idées ; mais elles devaient être retrouvées d’une manière indépendante, et presque simultanément, vers 1830, par deux géomètres d’origine bien différente, le Russe Lobatschefski et le Hongrois Bolyai. Riemann devait venir plus tard créer une géométrie nouvelle, à côté de celles d’Euclide et de Gauss. Il a eu de nombreux imitateurs, et nous comptons aujourd’hui une foule de géométries différentes, tout aussi cohérentes les unes que les autres. Ces découvertes des géomètres ont beaucoup contribué à former, je n’ose dire, à rectifier les théories des philosophes relatives à l’origine et à la formation de nos connaissances. Mais au temps de ma jeunesse, elles étaient encore combattues et contestées. Un savant modeste, Jules Hoüel, dont l’amitié m’honora et dont je conserve précieusement le souvenir, a beaucoup contribué à les faire connaître et à les répandre dans notre pays. D’autre part, Beltrami, qui les introduisit en Italie, où elles avaient trouvé un précurseur dans la personne de Saccheri qui vivait au XVIIIe siècle, mais où elles rencontraient beaucoup de contradicteurs, essaya de répondre aux objections en montrant une surface, la pseudosphère, où la Géométrie non euclidienne se trouve en quelque sorte réalisée par les propriétés des géodésiques. La réponse n’était pas topique ; car la surface de Beltrami a des limites et, en Géométrie non euclidienne, le plan et la ligne droite n’en ont pas.