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au baccalauréat, il fit une dissertation très distinguée sur cette question : « Comment une nation peut se relever », dont M. de Margerie fut vivement frappé.


Poincaré fut en effet reçu, le 5 août 1871, avec la mention bien. Sa composition latine fut, si nous en croyons les notes, supérieure même à sa dissertation française, il fut bon, ou très bon, dans toutes les parties de l’examen.

Et pourtant, il avait eu, lui aussi, sa part des épreuves de l’année terrible.


Quand la guerre éclata, Henri Poincaré avait 16 ans, il était trop jeune et trop délicat pour s’engager ; mais il était à Nancy, en plein cœur de l’invasion, il en vit toute l’horreur, d’abord dans les ambulances où il accompagnait son père, mais surtout pendant un voyage qu’il fit avec sa mère et sa sœur, à travers des difficultés inouïes, jusqu’à Arrancy où la santé de ses grands-parents, ébranlée par les émotions de la guerre, appelait Mme Poincaré. Arrancy était près du champ de bataille de Saint-Privat, il fallut, pour y arriver, traverser, par un froid glacial, des villages incendiés, vides d’habitants. Quand on eut atteint le but du voyage, on trouva la maison familiale dévastée. Les Prussiens avaient tout emporté, les objets de valeur comme les objets sans valeur, l’argenterie, le linge, les provisions de toutes sortes. La cave, le fruitier, la basse-cour, tout avait été saccagé ; et, le jour du départ des ennemis, M. et Mme Launois se seraient couchés sans dîner si une pauvre femme du village, que sa misère avait préservée du pillage, n’était venue, une soupière pleine à la main, leur offrir de partager son pauvre repas, heureuse de leur témoigner sa gratitude pour les bienfaits qu’elle avait reçus d’eux. Jamais Henri Poincaré ne devait oublier ce voyage, et c’est l’impression qu’il en garda, comme la douleur qu’il ressentit en voyant sa ville natale occupée si longtemps par les ennemis, qui firent de lui l’ardent patriote qu’il est resté toute sa vie. C’est pendant la guerre qu’il s’apprit à lui-même l’allemand, qu’il ne savait pas, pour pouvoir lire, dans les seuls journaux qu’il eût à sa disposition, les nouvelles qu’il avait le vif désir de connaître[1].


Voici ce que nous dit à ce sujet M. de Roche du Treilloy :


Quand je n’avais pas eu le temps de lire les journaux, je priais Poincaré de me tenir au courant des nouvelles, d’apprécier les événements. Quelle netteté ! Quelles impressions justes ! C’étaient de bons premiers-Paris improvisés. Le sens des affaires politiques, du patriotisme, est inné dans la famille Poincaré.

  1. Mme Henri-Beau dans le journal L'Enfant, décembre 1912.