l’abolition de l’esclavage, ou au moins l’égalité des droits entre les hommes de couleur libres et les blancs. Or, l’idée seule de l’égalité avec un homme de couleur révoltait l’orgueil des blancs plus encore que l’abolition de l’esclavage ne leur semblait compromettre leurs intérêts. Ainsi se forma dans l’esprit des colons cette alliance bizarre d’idées contraires, par laquelle seule on peut expliquer les révolutions de Saint-Domingue : d’une part, opposition à la France et aux agents du roi, qui prenait les couleurs de la démocratie ; de l’autre, repoussement dédaigneux et plus qu’aristocratique des demandes les plus naturelles de tous ceux qui conservaient quelque trace de sang mélangé. On ne sait que trop ce qui en résulta : le parti dominant parmi les blancs expulsa ou réduisit à l’impuissance les agents de l’autorité royale, en même temps qu’il fit subir des humiliations sans nombre aux hommes de couleur ; ceux-ci, à leur tour, se vengèrent avec la fureur qui appartient à leur sang et au climat ; et en définitive, les esclaves des uns et des autres, excités par l’exemple de leurs maîtres et avertis de leur force, détruisirent tout ce qui avait eu quelque prééminence par la couleur, par la fortune ou par la liberté personnelle.
Il semblait que M. de Beauvois, qui n’était allé en Afrique que comme naturaliste et philosophe, qui avait été témoin des souffrances horribles que la traite fait éprouver aux nègres, qui avait lui-même partagé ces souffrances ; que M. de Beauvois, qui n’était pas colon, et qui ne possédait point d’esclaves, aurait dû pencher plutôt vers les idées des amis des noirs, ou du moins qu’il n’aurait pas dû se déclarer contre les modestes prétentions des hommes de couleur libres.
Il en fut tout autrement ; et c’est par l’histoire de son voyage que l’on peut expliquer cette singularité.