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clxiv
éloge

sissait à tout par la persévérance, il oublia que l’homme peut tout, excepté d’épuiser la connaissance de la nature, même sur la plus limitée de ses productions. Son ouvrage est donc resté manuscrit, au grand regret de ses confrères ; mais ils n’osèrent insister. M. Tenon leur imposait ; son visage austère, sa haute stature, que l’âge n’avait point courbée, son costume antique, sa démarche grave, en faisaient en quelque sorte, vis-à-vis de nous, le représentant de la génération précédente. Il nous disait quelquefois, comme Nestor : Écoutez-moi, car j’ai vécu avec des hommes qui valaient mieux que vous. Mais nous étions si disposés à l’entendre que cet exorde habituel ne nous refroidissait pas.

Peut-être aurions-nous joui quelques années encore de ses paternels avis ; peut-être serait-il parvenu enfin à se contenter lui-même d’un travail où personne que lui ne trouvait plus rien à désirer, s’il n’eût été vivement atteint dans ses seules jouissances. Au mois de juillet 1815, une troupe étrangère s’empara de sa maison de campagne ; cette pétulance naturelle au soldat oisif s’exerça sur la partie de ses collections qu’il y avait laissée. Des objets rassemblés par cinquante ans d’assiduités furent brisés ; ses plus beaux livres souillés ou déchirés ; lui-même obligé de fuir. Depuis lors, le courage lui manqua, et avec le courage la force disparut. Il ne fit plus que décliner, et un léger catharre l’enleva le 16 janvier 1816.

Du moins le manuscrit et les planches de son ouvrage sur les dents ont été sauvés, et nous devons espérer que le public en jouira bientôt ; ce sera le monument le plus durable des efforts d’une longue vie. Le bien que l’on fait aux hommes, quelque grand qu’il soit, est toujours passager ; les vérités qu’on leur laisse sont éternelles.