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éloge

infects, où ses camarades étaient obligés d’étudier les ressorts de la vie, au milieu de tout ce que la mort a de plus repoussant. Il eut enfin recours aux animaux ; et l’admirable spectacle de l’organisation, une fois débarrassé de ses alentours lugubres, excita tellement sa curiosité, que l’anatomie devint pour lui l’objet d’une passion violente, en même temps qu’elle prit dans ses mains un caractère tout différent de celui qu’elle aurait conservé peut-être, s’il l’eût apprise par les méthodes vulgaires.

Ainsi, et il est bon de le remarquer dès l’abord, l’adversité continua d’être son meilleur maître ; les deux rapports sous lesquels il s’est si fort distingué ont tenu essentiellement à la position malheureuse où se trouva sa jeunesse, et peut-être que s’il avait eu un peu plus d’aisance et un peu plus de santé, il ne serait jamais devenu qu’un chirurgien ordinaire de petite ville.

Ses exercices particuliers d’anatomie lui procurèrent bientôt l’amitié d’un homme digne de le servir. Long-temps il s’était modestement glissé au cours que le célèbre Winslow faisait au jardin du roi, et qui attirait une affluence prodigieuse. Il prit un jour la hardiesse de présenter à ce professeur une préparation du cœur qu’il avait exécutée d’après une leçon de la veille. Winslow, frappé de l’adresse que ce travail supposait, distingua aussitôt le jeune élève ; lui assigna près de lui, au cours, une place distinguée et l’admit bientôt à partager les travaux intérieurs de son laboratoire.

M. Tenon put donc satisfaire à son gré sa passion pour l’étude du mécanisme vital ; le corps humain, celui de plusieurs animaux lui étaient familiers ; déja il aurait pu passer pour un anatomiste habile, mais il restait toujours sans lettres, ignorant le latin, hors d’état de lire la plupart des bons ouvrages sur son art. Peut-être cette ignorance aurait-elle irrévocablement arrêté ses progrès, s’il n’eût été engagé à s’y soustraire, par une révolution qui commença vers cette époque pour la chirurgie, et dont l’histoire