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faire « le pont et planche »[1] ? Édouard était, en 1328, le mâle le plus proche[2]. Il touchait de plus près au roi défunt que Philippe de Valois et que Philippe d’Évreux ; mais il était parent par les femmes. Sa mère Isabelle ne pouvait régner en France[3]. Pouvait-il régner lui-même ? L’étude du droit comparé nous prouve que cette conception, si étrange pour des esprits façonnés à la moderne, d’un droit latent transmis à des enfants par une mère qui ne peut l’exercer elle-même, n’est point inconnue dans le vaste monde juridique, miroir du monde économique et du monde moral[4]. Nous savons, d’ailleurs, qu’en

  1. J’emprunte cette excellente expression au ms. 23281, fol. 5 ro. Elle se retrouve dans d’autres traités.
  2. Charles le Mauvais, plus proche que lui, n’est venu au monde qu’en 1332. (Secousse, op. cit., p. 24.) Louis II de Mâle, comte de Flandre, fils de Louis Ier, dit de Nevers, et de Marguerite, fille de Philippe le Long, n’est venu au monde qu’en 1330. (Cf. L’art de vérifier les dates, t. III, p. 20.) On sait que Louis de Mâle faillit épouser Isabelle, fille d’Édouard III. (Molinier, Chronique normande, p. 276, note 7.)
  3. La reine Isabelle est morte en novembre 1357.
  4. Chez les Grecs, par exemple, la fille est exclue de la succession quand il y a des successibles masculins dans la ligne directe descendante ; dans le cas contraire, elle est considérée comme un intermédiaire par lequel la famille peut se perpétuer. Dépositaire de l’héritage plutôt qu’héritière à proprement parler, elle épouse le plus proche parent, pour fournir un héritier posthume qui soit, autant que possible, du sang du défunt. Voir Lécrivain, art. Épicleros, dans Saglio, Dict. des antiquités grecques et romaines, fasc. xv, p. 662. Je reproduis les expressions de M. Lécrivain. Pour l’Inde, voir Kohler, Die Gewohnheitsrechte der Provinz Bombay, dans Zeitschr. für vergl. Rechtswissenschaft, t. X, p. 73 et suiv. Mais il y a plus : une transmission analogue avait lieu en Parisis à la fin du xiiie siècle et au commencement du xive. Voici le cas auquel je fais allusion. Le propriétaire d’un fief vient à mourir laissant : 1o des sœurs qui ont elles-mêmes des enfants mâles ; 2o des parents mâles plus éloignés. Les parents mâles plus éloignés seront exclus et les enfants des sœurs arriveront à la succession au détriment de leurs mères : ainsi ces mères sont exclues par leurs propres enfants, et c’est cependant par les mères qu’un droit successoral compète ici aux enfants. Voir Mortet, Le livre des constitucions demenées el Chastelet de Paris, $ 68, note 5, dans Mémoires de la Soc. de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, t. X, p. 77. À en croire Jehan le Bel, Charles le Bel n’apercevait pas très clairement quel devait être son successeur si la reine venait à accoucher d’une fille « et s’il avenoit que