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Si je ne m’abuse, l’opinion (j’entends ici l’opinion des grands, celle de la cour et de son entourage) a donné, sous Philippe V, la mesure de sa force, en obligeant le roi à ouvrir une procédure criminelle (terminée par un acquittement) contre sa belle-mère, Mahaut d’Artois. Dès les premiers jours de ce règne si court, vers le temps où le roi se faisait furtivement sacrer, une rumeur s’était répandue : on accusait la comtesse d’Artois de faits criminels (on lui imputait notamment la mort de Louis X[1]). Et ces rumeurs furent telles, qu’il fallut instruire contre Mahaut. Celle-ci cependant avait payé d’audace : c’est tout juste à ce moment qu’on vit pour la première fois une femme, paire de France, assister avec les autres

  1. « Notum facimus… quod cum ad solam suggestionem Isabellæ de Siennes et Joannis ejus filii, qui quædam crimina nobis et quibusdam aliis extra judicium… de charissima et fideli nostra Mathildi, comittissa Atrebatensi retulerunt, nos eandem comitissam ob hoc ex officio nostro ad judicium coram nobis fecerimus evocari, ac eidem præsenti contra personam suam in scriptis tradi quosdam articulos criminales et quasdam declarationes ab eisdem dependentes, » etc. (Leibnitz, Codex jur. gent. diplom., p. 98-100, no 48.) La sentence d’acquittement du 9 octobre 1317 a été publiée par le marquis de Godefroy-Ménilglaise dans Mémoires des antiquaires de France, 3e série, t. VIII, 1865, p. 195-218. Dans la sentence publiée par le marquis de Godefroy-Ménilglaise, Isabelle n’est plus appelée de Siennes, mais de Ferienes. M. Bichard corrige Ferièves et identifie avec Fillièvres. Cette version exclut les conjectures que pourrait suggérer le texte de Leibnitz. On sait que le prétendant Jean Ier a écrit ou fait écrire une sorte d’autobiographie. Or, à la première page de ce récit, on nous parle d’une famille originaire de Sienne habitant près Paris, laquelle est en relation avec une autre famille, probablement de Sienne aussi. Une certaine dame Éliabel est mentionnée : elle a, ce semble, deux fils, dont l’un s’appelle Giannotto. La fille de cette Éliabel, Marie, est, d’après ce récit, devenue la nourrice du petit roi Jean Ier. La thèse du prétendant, c’est que Mahaut avait voulu et cru tuer Jean Ier, mais qu’elle avait, sans le savoir, tué un frère de lait, substitué à l’enfant royal. Cette thèse, dirait-on en lisant le document publié par Leibnitz, peut avoir été imaginée après coup, mais avoir pour point de départ tout ce qui s’était dit et conté dans la famille d’Isabelle sur les crimes de Mahaut. En d’autres termes, on comprendrait mieux la tentative du prétendant, si elle avait pour assise première le souvenir d’une accusation dirigée contre Mahaut. (Cf. Bibl. Barberine, ms. XLV, 52.) Mais le texte de Godefroy-Ménilglaise exclut ces conjectures.