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décida que le comté de Poitiers ferait retour à la couronne[1] si les héritiers mâles venaient à faire défaut[2]. Mais à peine Louis X fut-il monté sur le trône que Philippe de Poitiers demanda au roi de France, son frère, une décision plus favorable. Louis, se rendant au vœu du comte de Poitiers (le futur Philippe le Long), décida que les filles pourraient, à défaut d’hoir mâle, succéder à leur père dans le comté de Poitiers. Les circonstances qui, un an plus tard, accompagnèrent l’avènement de ce même Philippe, donnent une valeur singulière aux expressions dont se sert Louis X pour justifier le droit des femmes. Il invoque hautement le droit naturel que, dès ce temps, on avait facilement à la bouche[3] : « Raisons et drois naturez donnent que en deffautes de hoirs males, les femelles doivent aussi bien héritier et avoir successions es biens et possessions des pères de cui elles ont esté procréées et descendues en loyal mariage comme font li malle[4]. » On est frappé d’entendre Louis X proclamer en ces termes absolus le droit des femmes, et cela au profit de la postérité de ce même Philippe qui, lui, saura exclure la fille de Louis X de la succession au trône. Sans aucun doute, le roi, tout en réglant les intérêts de la famille de son frère, fait ici un retour sur la sienne propre. S’il proclame ce principe en

  1. L’expression employée est « demaine (domaine) du royaume ».
  2. Arch. nationales, Trésor des chartes, Layettes, Supplément, J. 748, no 2 (acte daté de la Saint-André de l’an 1314, copie du XVIe siècle). Cette date de la Saint-André présente quelque difficulté ; car la Saint-André tombe le 30 novembre et Philippe le Bel est mort le 29 novembre. La copie du XVIe siècle est-elle parfaitement exacte ?
  3. Ordonnance de Louis X pour l’abolition du servage en 1315 (Ord., I, 583) ; Charte d’affranchissement de Commercy et Breuil en 1324 (Digot, Hist. de Lorraine, t. II, p. 359). Toutefois dans ce texte de 1324 je ne trouve pas l’expression : droit naturel ; mais : raison et justice. Le droit naturel avait été éloquemment invoqué, au XIIIe siècle, par Frédéric II. (Voir Winspeare, Storia degli abusi feudali, Napoli, 1811, p. 40-62, notes.) Ainsi le droit naturel, qui joue un si grand rôle dans l’école, pénètre déjà dans le style officiel.
  4. Pas-de-Calais, A. 60 ; d’après Richard, Inventaire sommaire, série A, t. I, p. 91.