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à qui j’avois donné ordre de vous remettre ma lettre en l’absence de votre mari, ne vous a pas trouvée. » Je ne répondis rien, et n’osai même demander à quelle heure, dans la crainte de n’être pas maîtresse de mon trouble. Le souper fut assez bruyant pour qu’on ne prit pas garde à moi, et assez gai pour que madame Darty et une autre dame formassent le projet de nous en aller toutes trois, sans hommes, au bal de l’Opéra[1], car M. d’Épinay ne vint pas comme il l’avoit projeté, et les maris

    loire posée sur un fourneau portatif. Le prince de Conty, vu de dos, est assis près de Trudaine. Enfin, à gauche, Mozart, enfant, touche du clavecin, et Jelyotte, debout, chante en s’accompagnant de la guitare ; le chevalier de Laurency, gentilhomme du prince, est debout derrière Mozart, et le prince de Beauvau, assis, lit une brochure. Le salon est orné de grandes glaces et de dessus de porte représentant des portraits de femmes. Un violoncelle et des cahiers de musique sont posés sur l’angle à gauche, et on lit sur un papier :

    De la douce et vive gaieté
    Chacun ici donne l’exemple ;
    On dresse des autels au thé :
    Il méritait d’avoir un Temple. »

    Ce tableau, exposé au Salon de 1777, n’a pas été peint avant l’année 1763, qui est celle où Mozart vint en France. Madame Darti n’est plus là pour faire les honneurs de la maison.


    En 1746, c’est le moment où nous en sommes, le prince de Conti n’était pas encore grand prieur de Malte, et, par conséquent, ne vivait pas au Temple. C’est de son hôtel de la rue Neuve-Saint-Augustin que sortait madame Darti lorsqu’elle envoyait son billet à madame d’Épinay. Les Conti avaient un autre grand hôtel, là où est aujourd’hui la Monnaie.

  1. L’Opéra était alors établi rue de Richelieu, dans la salle du Palais-Royal qui, sous Louis XIV, avait été occupée par Molière, qui, incendiée le mercredi 6 avril 1763, fut reconstruite par l’architecte Louis, et où joue aujourd’hui la Comédie-Française. La salle était comparativement fort petite et passait pour le plus vilain vaisseau d’Opéra de l’Europe, mais c’était déjà le plus célèbre.

    Jusqu’en 1749, l’Opéra fut administré par des directeurs privilégiés qui recevaient, dans les premiers temps, les ordres directs du roi, puis ceux du ministre de sa maison. Le privilège et l’administration furent remis à la prévôté des marchands par un arrêt du conseil, daté du 26 août 1749. Elle administra le théâtre de 1740 à 1757, et l’afferma de 1757 à 1776.