Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avouer, quelque chose qui ne me paroît pas naturel. Peut-être ne serai-je que trop tôt éclaircie !


Le 12 novembre.

Hélas ! oui, la cruelle scène que je viens d’essuyer ne m’a que trop instruite. Mais allons par ordre. Je me rendis hier à l’invitation de madame Darty, à huit heures du soir. En arrivant elle me dit : « Vous êtes partie hier de bon matin, ma belle ; car mon messager,

    et quelques complaisants. Il y passa plusieurs années dans la retraite et la lecture. Il en sortit ensuite pour rentrer dans le monde, et le scandaliser du sérail de filles qu’il entretenait. »

    (Besenval, édit. de 1821, t. I, p. 369.)

    Que Besenval ait tort ou raison, il n’en est pas moins vrai que le prince de Conti fut un homme d’esprit éclairé, et que sa compagnie était choisie parmi les plus agréables du siècle dernier. C’est peut-être le seul prince du sang royal qui, en mourant, ait refusé les sacrements de l’Église. Nous avons à Versailles dans les galeries d’en haut quelques peintures où vit encore le souvenir de la cour demi-galante et demi-artistique qu’il réunissait autour de lui, soit au Temple, soit à l’Ile-Adam. Ce sont trois ou quatre jolis tableaux d’Olivier, dont l’un au moins, le Souper, a été gravé. Voici la description de celui qui est le plus précieux pour l’histoire des mœurs et des lettres mondaines du XVIIIe siècle. Il est inscrit sous le n" 3729 au catalogue et désigné ainsi : Le Thé à l’Anglaise dans le salon des Quatre-Glaces, au Temple, avec toute la cour du prince de Conti.


    « À droite une table à laquelle sont assis le bailli de Chabrillant et le mathématicien Dortous de Mairan ; la princesse de Beauvau, debout, verse à boire à ce dernier. Sur le devant, les comtes de Jarnac et de Chabot, debout, le premier tenant un plat, l’autre mangeant un gâteau ; plus loin, la comtesse de Boufflers servant d’un plat posé sur un réchaud. Le président Hénault, vêtu de noir, est assis devant un paravent. La comtesse d’Egmont la jeune, née Richelieu, tient une serviette et porte un plat, et la comtesse d’Egmont mère, vêtue de rouge, coupe un gâteau. Près d’elle est M. de Pont de Veyle, appuyé sur le dossier d’un fauteuil. Le prince d’Hénin, debout, appuie la main sur le dossier d’une chaise sur laquelle est assise la maréchale de Luxembourg, tenant une soucoupe ; entre eux est mademoiselle de Boufflers, vue de profil. La maréchale de Mirepoix verse du thé à madame de Vierville. Mademoiselle Bagarotti est assise toute seule devant un petit guéridon, près duquel est une bouil-