Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/93

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bien aise que ma mère eût jugé que cette confiance pouvoit être un bon signe ; mais l’aventure de ce matin ! « Que dois-je donc penser de cette lettre ? repris-je, — Peut-être que vous vous êtes trompée, ma fille : vous irriterez votre mari, et vous perdrez votre crédit auprès de lui par des alarmes déplacées. — Je voudrois le croire, maman ; mais malheureusement je n’ai nul doute. — Cela se peut, ma fille ; mais vous l’avez voulu. L’inclination que vous aviez l’un pour l’autre avant le mariage a fait du bruit ; il faut se taire : c’est un si grand avantage pour vous que votre oncle ait vaincu la répugnance qu’il avoit à vous unir à son fils, qu’il faut conserver, par votre douceur et votre patience, la bonne idée qu’on a conçue de vous. Par attachement et par égard pour votre beau-père, il faut lui éviter la connoissance des travers de son fils : il est bien jeune ; étudiez ses goûts raisonnables, suivez-les, résistez courageusement à la dissipation excessive. — Mais, maman, ce conseil, permettez‑moi de vous le dire, est contradictoire. — Ma fille, on peut être soumise, céder dans ses opinions, sacrifier quelquefois ses goûts, et résister néanmoins à tout ce qui entraîne la réputation d’une évaporée. »

Tandis que j’écrivois ceci, mon mari est rentré. « Quoi ! m’a-t-il dit d’un air aisé, pas encore couchée ? Vous devez cependant être lasse. — Je voulois, lui ai-je répondu un peu étonnée de son air, vous rendre compte de mon voyage ; je vous en suppose curieux. — Eh bien ! dit-il en m’embrassant, comment se porte votre cher enfant ? — À merveille, » lui dis-je. Le compte que je lui ai rendu de tout ce que j’ai remarqué d’aimable et de touchant dans cette petite créature parut lui faire grand plaisir ; il m’écouta avec attention, me fit mille