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meur, et que c’étoit cette lettre qui m’en donnoit. J’avois grande envie de lui en parler ; mais, me disois-je, si c’étoit pourtant une lettre d’affaire, mon soupçon l’offenseroit ; je n’en veux pas parler de peur de le blesser ; et pour lui donner le change, je m’efforcerai de sourire. « Ah ! vous riez ; au moins il y a de la ressource avec quelqu’un qui rit, dit-il. Allons, c’est cette lettre, n’est-ce pas, qui vous tourmente ? — Oui, cette lettre sans orthographe, lui dis-je. — Eh bien ! reprit-il, si je vous la fais lire, que direz-vous ? — Que je suis bien injuste. Oh ! que… que je vous demanderai de pardons, si vous pouvez me la montrer. — Tenez, dit-il, en me la montrant, comme pour me la donner, et la retirant tout de suite : la voilà, lisez. Mais auparavant il faut vous dire… sans cela vous n’y comprendrez rien : c’est une femme de ***. »

Pendant qu’il parloit, je le regardois lorsqu’il ne me regardoit pas ; car alors j’étois embarrassée de la confidence qu’il me faisoit, et je baissois les yeux. Il rioit beaucoup ; il falloit bien sourire ; mais mon cœur palpitoit bien fort. J’étois sensible à sa franchise, à sa confiance, et je me disois : si je pouvois devenir sourde et être pourtant sûre qu’il ne me cache rien, et qu’il crût que je l’entends !

Il disoit donc : « Et cette femme, je ne sais en vérité pourquoi elle croyoit que j’étois amoureux d’elle. Elle a fait cent extravagances. On s’en moquoit. Il faut avouer qu’elle nous a bien divertis. — Eh bien ! cette femme, lui dis-je ? — Eh bien ! eh bien ! elle s’étoit persuadée que je ne revenois à Paris que pour me mettre en état de m’établir tout à fait à ***. Elle me donnoit des rendez-vous. Quelquefois j’y allois ; d’autrefois je lui faisois accroire que je ne l’avois pas pu. Enfin elle…