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et attentive à ce que sa jolie bouche va prononcer, elle me regarde, se met à rire et ne dit mot. Je prends donc le parti de griffonner, toute seule, en attendant qu’elle prononce. Vous saurez qu’elle se porte à merveille, et… Attendez ; la voici qui parle. Pour ne point perdre de temps, je vous avertis que, les moments où elle s’interrompra, je continuerai pour mon compte ; au moyen de quoi je ne désespère pas que cette lettre ne vous devienne inintelligible.

Elle. En vérité, mon cher tuteur, je m’impatiente tous les jours davantage de ne vous point voir. Vous me manquez beaucoup dans un moment où ma situation exige que je sois renfermée.

Moi. Ah ! quels lieux communs et froids ! Remarquez ceci : le style s’échauffe.

Elle. Je ne sais si c’est parce que c’est vous que je voudrois voir ; mais il y a de certains moments où tous ceux qui m’entourent me sont insupportables.

Moi. Phrase obligeante pour le secrétaire, Insup… por… tables… Après, madame.

Elle. Je me porte beaucoup mieux que je n’espérois.

Moi. Je le lui ai déjà dit : passez à autre chose, ma cousine.

Elle. Mais vous me faites tourner la tête avec vos folies. Comment voulez-vous que je dicte, si vous parlez toujours ?

Moi. C’est que je vois bien que vous n’avez rien à lui dire que des choses que vous avez déjà répétées cent fois, si ce n’est que le marmot se porte bien, qu’il crie comme un sourd, qu’il est en campagne avec sa nourrice, et que son père arrivera bientôt.

Elle. Pardonnez-moi, ma cousin, je suis accoutumée