qu’est-ce qui m’a amenée à cette disposition d’âme. Je n’y vois guère autre chose qu’une lettre froide et aigre, mêlée de plaisanteries assez indécentes, que j’ai reçue de mon mari, en réponse à des reproches peut-être trop tendres que je lui ai faits. Mais si vous saviez combien j’étois pressée d’oublier ses torts, et combien j’ai besoin d’être heureuse !
Je vous envoie un extrait de sa lettre, pour que vous
en jugiez, car je crains de m’exagérer les motifs de ma
peine, tant je me trouve singulière depuis quelque temps.
Je comptois aller incessamment à Paris ; mais mon beau-père
et ma mère projettent d’y l’aire un petit voyage de
deux jours qu’ils n’ont point fixé encore, et je les attendrai.
Adieu, mon tuteur. Je voulois vous demander :
une femme mariée[1] peut-elle faire un testament ?
Vous voilà donc, ma chère amie, remontée sur le ton de la plus belle tendresse ; et votre mari doit être flatté
- ↑ « Il est temps de passer au troisième chef d’incapacité qui résulte de l’assujettissement à la puissance d’autrui, c’est-à-dire à la question de
savoir si la femme mariée est capable de tester.
« L’affirmative ne souffre aucune difficullé dans le droit commun. Il y a, à la verité, plusieurs coutumes où la femme ne peut tester sans l’autorisation de son mari, ou celle du juge à son refus ; mais toujours est-il vrai que, même sous ces coutumes, l’état de la femme mariée n’emporte point une incapacité absolue de tester.
« Quel peut donc être l’objet de notre question, et y a-t-il en France une seule coutume où l’on ait douté que la femme autorisée de son mari pût faire un testament ? Oui, cette coutume existe, et elle régit une grande province : ce sont les chartres générales de Hainaut. » (Guyot, Réperloire universel et raisonné de Jurisprudence, t. XVII, article Testament ; 1785.)
Madame d Épinay hésitait sans doute parce qu’elle avait longtemps vécu à Valenciennes, c’est-à-dire dans cette province du Hainaut qui avait, sur ce point de droit, ses règlements particulier.