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m’en débarrassai avec une soixantaine de louis. Mais je ne crois pas qu’elle le porte ; j’en doute même très-fort. On lui prête cette étourderie : c’est une bonne fille qui ne voudroit pas me faire de peine, j’en suis sûr.

Je vais pourtant lui écrire pour m’informer de la vérité, et pour que cela n’arrive plus, jusqu’à mon retour. Alors je tâcherai de l’engager à me le rendre. Vous voyez que tout cela ne mérite pas la peine de vous irriter, ni d’employer les termes d’infidèle, de ridicule, et je ne sais quels autres encore dont vous vous êtes servie ; mais je passe cela à la chaleur du premier mouvement. J’espère que ma chère petite femme reprendra dorénavant son joli style ordinaire, et qu’elle ne souffrira plus qu’on lui parle de moi d’une façon si indécente. C’est une imprudence dont vous n’avez pas senti la conséquence, mais qui, j’en suis sûr, ne vous arrivera plus.


LETTRE DE MADAME D’ÉPINAY À M. DE LISIEUX.

Je n’ai peut-être jamais eu tant besoin de vous, mon cher tuteur, que depuis que vous êtes parti. Le brouhaha de tous les gens qui sont venus nous voir m’a étourdie pendant quelques jours ; mais depuis une semaine que nous sommes seuls, je ne me reconnois en vérité plus. Toutes les occupations, qui étoient pour moi des ressources contre la peine et contre l’ennui, me sont devenues fastidieuses ; la lecture m’ennuie, la peinture me dégoûte, le travail me fatigue, et je ne sais plus que faire. Toutes mes idées sont noires ; je me porte bien et je m’écoute toute la journée, dans l’espérance de me trouver malade. Je dis l’espérance, parce que c’est en effet le seul désir que j’éprouve. Vous me demanderez