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qu’elle arracha l’aveu que ce portrait appartenoit à une fille.

Promettez-moi, mon cher tuteur, qu’en me disant naturellement votre avis sur la conduite que j’ai tenue, vous ne ferez point de réflexions, vous n’aggraverez point mon malheur, et qu’après m’avoir conseillée sur cette cruelle aventure, vous ne m’en parlerez plus. Dans cette confiance, j’achève.

Je voulus me lever et m’en aller sous prétexte que nous attendions trop longtemps, mais, en effet, dans la crainte que madame de Maupeou ne poussât plus loin ses recherches ; et les forces me manquant, je restai atterrée. Ces dames virent que je me trouvois mal. Heureusement, sans en démêler la cause, elles me ramenèrent chez moi, et je m’en débarrassai le plus tôt que je pus.

Ce n’étoit rien encore, mon tuteur. Je voulois, et je pouvois presque douter de mon malheur ; il y manquoit la certitude : à présent je ne puis douter de rien. Mon mari m’aimera-t-il encore s’il sait que je suis instruite ? Puis-je l’aimer, ou plutôt le lui avouer, ayant un tel reproche à lui faire ? Que vais-je devenir ? Tout le bonheur de ma vie est fini ; je vais la passer dans l’amertume. Il m’a trompée une fois. Que sais-je encore si c’est la seule ? Jamais, jamais je ne pourrai reprendre confiance. Il me semble qu’on m’a tout enlevé, que je suis là, seule dans le monde. Eh ! que lui ai-je fait pour me rendre si malheureuse ?…

Ma mère ! madame de Maupeou ! vous aviez raison ; il ne m’a jamais aimée. Ah ! mon tuteur, si je ne respectois… Hélas ! je dois me conserver pour la malheureuse créature à qui je vais donner le jour. Me dédommagerat-elle des torts de son père ?