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nouveau genre de vie, ils ont quelqu’un de plus pour les regarder bâiller, et c’est quelque chose quand on bâille par état. Raillerie à part, voyons un peu à quoi tout ceci vous mènera.

Tant par votre état que par la vie que vous allez mener, vous contracterez une mélancolie et une tristesse qui ne vous rendront pas plus aimable. Ces beaux yeux se terniront, ces jolies joues fraîches se faneront, et votre époux, à son retour, vous saura le meilleur gré du monde de cette réforme. J’y vois un autre malheur qui me paroît valoir la peine d’en parler, c’est que vous ne serez plus au ton décousu et frivole de ce charmant objet (je vous en demande pardon), et que tout cela pourroit bien produire des changements funestes, ou pour l’un ou pour l’autre ; ou bien, vous voudrez recommencer à vivre comme lui, cela vous ennuiera, et vous vous donnerez par-dessus tout la réputation d’une folle qui ne sait ce qu’elle veut.

Entendez-vous, ma belle cousine ? Faites votre profit de tout cela, et venez me voir. Bonjour.




Ces conseils ne purent déterminer madame d’Êpinay à changer son genre de vie. Elle entroit dans le cinquième mois de sa grossesse ; et la première fois que l’enfant qu’elle portoit lui fit sentir son existence fut un moment délicieux pour elle. Cette nouveauté troubla et attendrit son âme, au point de lui faire verser des larmes. La joie qu’elle eut de ce mouvement ne dura guère, ses craintes précédentes lui revinrent et furent plus vives. « Quoi ! il faudra peut-être périr en mettant au