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vent nuisible. Dans cette occasion, elle appuya moins sur l’extravagance de cette acquisition que sur la colère où seroit son père contre lui. Il répondit qu’il avoit caché cette emplette, qu’il n’avoit faite que pour elle, afin de lui en faire une surprise agréable à son retour. D’ailleurs, il approuvoit fort sa manière de vivre ; sa conduite, en effet, devoit lui plaire : de la dissipation, des spectacles et une soumission aveugle à ses volontés, c’étoit, dans son esprit, le comble du bonheur. Elle avoit profité aussi de l’absence de son mari pour faire, fermer la porte au chevalier de Canaples ; en effet, je ne le rencontrois jamais chez elle ; seulement, la veille de son départ pour son régiment, elle le reçut, parce que son mari le lui prescrivit très-précisément. Il l’entretint longtemps de l’embarras momentané que lui causoit l’absence de M. d’Épinay, dans le pressant besoin où il disoit se trouver. Elle regarda avec raison ce propos comme une manière détournée de lui emprunter de l’argent, et elle rompit d’autant plus vite la conversation qu’elle avoit de la hauteur d’âme, et qu’il lui déploisoit fort que le chevaher osât l’entretenir de ses affaires. Son mari lui avoit demandé dans une de ses lettres pourquoi elle ne lui parloit jamais du cavalier de Canaples. « C’est, lui répondit-elle, que je ne puis vous en parler sur le ton qui vous plairoit. » Alors elle lui rendit compte de sa conduite avec le chevalier pendant son absence, en le conjurant de lui permettre de ne le pas revoir à son retour. Elle ne lui cacha point qu’elle craignoit, de la part de son perfide ami, un plan formé de le détacher d’elle ; et comme on lui avoit donné mauvaise opinion de ses mœurs, de ses principes, elle crut voir dans sa conduite le projet de la séduire. Voici comme M. d’É-