Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

t’écrire. Oh ! mon tendre ami, me pardonneras-tu si je maudis la cause qui m’empêche de te suivre ? J’ai cédé trop facilement aux craintes de ma mère : une grossesses de trois mois n’a jamais empêché de voyager ; au contraire. Hier j’étois heureuse, je l’étois encore ce matin, et maintenant je ne le suis plus ; je n’ai pas même l’espoir d’être tranquille d’ici à six mois. Je veux passer mes jours à t’écrire, mes nuits à penser à toi. Ne me laisse rien ignorer de ce que tu feras, surtout ménage bien ta santé, songe que ma vie est attachée à la tienne. S’il t’arrivoit le moindre accident ! Mais je n’ai pas besoin de m’exagérer mes peines pour les ressentir vivement. Que j’ai d’alarme d’avoir de tes nouvelles ! Une chose m’impatiente surtout, c’est que vous ne sentez pas assez la nécessité de pourvoir d’avance à tous les petits accidents qui peuvent arriver. Peut-être pour les autres seriez-vous plus prévoyant. Tenez, imaginez que c’est moi dont vous avez à prendre soin, et traitez-vous comme vous me traiteriez ; avec cela je serai tranquille.

Adieu, mon cher ami. Ah ! si tu souffres autant que moi de notre séparation, que je te plains !




Si M. d’Épinay, qui, à cause de sa charge, était souvent dans le cas de s’éloigner de son épouse, eût conservé comme elle toutes ses lettres, on auroit la suite la plus exacte de l’histoire de leur âme, et des divers mouvements qui agitoient madame d’Épinay ; toutes ses lettres étoient un journal de sa vie. Si quelques détails sont sortis de ma mémoire, les différents motifs qui la faisoient agir me sont toujours présents. J’ai connu peu d’âmes aussi intéressantes à suivre que la sienne. La