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et madame d’Épinay ; et quoique l’honnêteté de celle-ci et son amour pour son mari dussent la rassurer du reste, elle ne voulut plus que son amant allât sans elle chez sa cousine. De son côté, madame d’Épinay n’attendoit que le départ de son mari pour fermer sa porte au chevalier. Cependant quelques propos tenus dans le monde m’alarmèrent pour ma pupille. Je savois que sa supériorité sur d’autres femmes lui avoit fait de bonne heure des ennemis, auxquels il faut avouer qu’elle prêta souvent des armes par sa naïveté et sa vivacité.

J’avois déjà tenté plusieurs fois d’employer l’autorité de ses parents pour remédier, ou pour parer à des inconvénients que je ne croyois pas moins contraires au bien-être qu’à la réputation de madame d’Épinay ; mais leur peu d’usage du monde et leurs irrésolutions perpétuelles les rendoient si gauches dans tout ce dont ils se mêloient, qu’il en résultoit presque toujours un effet contraire à ce que j’en attendois, ce qui me fit prendre, une fois pour toutes, la résolution de ne me plus adresser à eux, convaincu d’ailleurs qu’on ne fuit point sa destinée.


LETTRE DE MADAME D’ÉPINAY À MONSIEUR D’ÉPINAY.
Mars 1746.

Quoi ! mon ami, mon ange, tu es parti ! tu as pu me quitter, et me quitter pour six mois ! non, je ne résisterai jamais à l’ennui d’une si longue absence. Il n’y a que quatre heures qu’elle dure, et elle m’est déjà insupportable. J’ai engagé madame de Maupeou à venir me tenir compagnie ; à présent je serois fâchée qu’elle vînt troubler la seule consolation qui me convienne, celle de