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il s’est moqué de moi : mon avis étoit que nous n’allassions point au bal lundi, mais il veut que j’y aille, et prétend que cela feroit un mauvais effet dans l’esprit du chevalier. J’en suis bien aise au fond, car je trouvois fort dur de sacrifier le bal de l’Opéra, que je n’ai jamais vu, à ce chevalier de Canaples, que je ne veux point voir et dont je ne me soucie guères : et qu’est-ce que je ferois de plus pour quelqu’un dont je me soucierois ? Nous irons au bal ; M. d’Épinay, d’ailleurs, m’a donné une si bonne raison pour m’en faire sentir la nécessité, qu’il devient indispensable à présent que j’y aille. Si je n’y paroissois pas, dit-il, le chevalier ne manqueroit pas de croire que je le fuis, que je le regarde comme un homme dangereux, et il s’en vanteroit, car c’est un fat, à ce qu’on dit.

S’il me parle, je ne ferai pas semblant d’avoir reçu sa lettre, et s’il m’en écrit une seconde, je la renverrai sans l’ouvrir. Je ne voudrois pas, pour rien au monde, que ma mère sût cette aventure. Elle est dans l’opinion qu’un homme n’ose pas faire une déclaration à une femme, qu’elle ne lui ait donné lieu de croire, ou par ses démarches, ou par ses paroles, qu’il en sera écouté. Je suis pourtant bien sûre que je n’ai rien fait qui ait pu autoriser la déclaration du chevalier de Canaples ; sa lettre en est une preuve, car il ne doute ni de ma sagesse, ni de mon amour pour mon mari. N’importe ; j’en suis affligée, et j’ai bien prié M. d’Épinay de n’en rien dire devant ma mère, pas même en plaisantant : il me l’a promis. Je n’en parlerai pas non plus à mon tuteur à qui je dis tout.

Adieu, ma chère amie, voilà ce que je voulois vous dire. J’irai dîner demain chez vous. À propos, mon mari