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l’embarras que je vous ai causé au bal ? Hélas ! ne me reprochez pas les deux heures les plus heureuses de ma vie.

Je ne puis souffrir toutes les autres femmes depuis que je vous connois. Quelle différence ! et que je la sens bien ! Mais, oh Dieu ! que deviendrai-je, si, abusée par des préjugés dont le manque d’expérience vous empêche peut-être encore de sentir toute l’absurdité, vous alliez me refuser la seule chose qui désormais puisse faire mon bonheur : le droit de vous aimer et d’oser vous le dire ! Si vous daignez me donner vous‑même une réponse, vous me trouverez lundi au bal de l’Opéra[1]. Je sais que vous y devez aller, et j’aurai

  1. Le bal de l’Opéra est, avec le Concert spirituel, l’une des inventions qu’on admirait le plus au siècle dernier. Les bals ont commencé avec l’année 1716. On y allait tous les dimanches, de la Saint-Martin à l’Avent, on reprenait à la fête des Rois, et, pendant tout le Carnaval, on dansait deux fois par semaine, de onze heures du soir à six ou sept heures du matin. Le prix du billet était de six livres.

    La Comédie-Française eut aussi son bal jusqu’en 1721, bal si suivi que, pour ne pas ruiner l’Opéra, il fallut l’interdire. Cependant on voit qu’en 1753 il fut accordé au comédien Granval la permission de donner huit bals publics dans la salle du Théâtre-Français.


    Les comédiens italiens voulurent aussi, en ouvrant leur théâtre de la Foire, donner des bals le mercredi et le dimanche : ils ne réussirent pas ; mais il y eut tout de même un grand bal d’été à la foire Saint-Laurent, à partir de 1734. C’était dans la salle de l’Opéra-Comique qu’il avait lieu, la nuit de la fête du Roi.


    La vue du bal de l’Opéra était un spectacle recherché de tout le monde. « Pour former la salle de bal, dit l’Almanach du temps, on a trouvé moyen d’élever le parterre et l’amphithéâtre au niveau du théâtre, par le secours d’un cabestan d’une nouvelle invention.


    « La nouvelle salle forme une espèce de galerie de quatre-vingt-dix-huit pieds de long, compris un demi octogone, lequel, par le moyen des glaces dont il est orné, devient aux yeux un salon octogone parfait. Tous les lustres, les bras et girandoles se répètent dans les glaces, ainsi que toute la salle, dont la longueur parait doublée.


    « Les glaces des côtés sont placées avec art et symétrie, selon l’ordre