Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/43

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Ce prétendu raccommodement ne calma point mon âme. Je restai plus triste, s’il est possible, qu’auparavant. Il me sembloit qu’il y avoit un air d’inconséquence et d’incertitude dans toute ma conduite, et même dans mes idées. Enfin, mon tuteur, il faut vous l’avouer, moi-même je me trouvai enfant, non par mes peines, mais par ma conduite.

À toutes ces tristes réflexions, je n’avois que mes larmes pour consolation. Je ne me trouvai nullement en état de me présenter, et, me sentant même assez souffrante, je pris le parti de me coucher. Mon mari, après le dîner, vint me tenir compagnie pendant une heure. Comme il n’étoit plus question d’explication, il pouvoit chercher à réparer ses torts sans se compromettre. Malgré cela, il avoit l’air d’attendre que les premières démarches vinssent de moi. Il revoit, il avoit l’air distrait. Il faut, mon cher tuteur, que j’aie de la rancune ; car tout ce que je pus faire au monde, ce fut de ne pas me fâcher, et de lui sourire quelquefois, toujours les larmes aux yeux. Il vint cependant m’embrasser, mais je n’en fus pas plus heureuse. Il n’est pas, je crois, possible de passer tout d’un coup de la douleur la plus amère à la tranquillité ; à plus forte raison, au degré de satisfaction qui caractérise le bonheur. Et puis le propos de mon beau-frère que je voudrois oublier. Enfin M. d’Épinay sortit vers les quatre heures. Ayant eu toute mon après-dinée à moi, le soir je me sentis assez calme ; je pris la ferme résolution d’oublier ce qui s’étoit passé, et de prendre le ton que mon mari me donneroit.

Enfin, mon cher tuteur, venez, ne perdez pas de temps : je ne saurois plus vivre ainsi. J’ai encore mille