Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais entendre parler de lui. Je fus très-étonnée de voir entrer dans mon appartement ma mère, qui me traita d’enfant, qui m’accusa de fierté et de hauteur déplacée. Je ne lui cachai aucun de mes sujets de plainte. Elle trouva que M. d’Épinay auroit pu se conduire avec plus de délicatesse, mais elle n’en blâma pas moins l’importance que j’avois mise à ce qu’ils appellent tous des misères. Elle trouva surtout que je m’étois emportée de la manière la plus indécente. Elle prétendit qu’il étoit essentiel que cette scène ne revînt pas à mon beau-père, et qu’il ne falloit pas perdre un instant pour ramener mon mari. Elle me le montra offensé et dans la douleur. Je ne pus tenir à cette idée ; je crus, en vérité, avoir tort, quoiqu’un certain sentiment secret me dise encore le contraire ; mais je ne voulus pas l’écouter, craignant qu’il ne partît peut-être d’un amour-propre blessé par le propos de M. de JuUy, auquel je ne dois pas ajouter foi ; je l’espère, au moins. Mon mari fut mandé, et vint recevoir, je pourrois dire, des excuses. Je n’en fis point cependant ; je me bornai à lui dire : « Si l’excès de ma douleur, monsieur, m’a fait vous traiter d’une manière contraire aux sentiments de mon cœur, vous n’avez à vous en prendre qu’à vous. Voyez mon âme, et jugez-nous tous deux. » Il ne me répondit point, m’embrassa d’un air fort tendre, à ce que prétend ma mère, en disant : « Allons, ma chère amie, oublions tout cela ; qu’il n’en soit plus question. » Ma mère nous embrassa tous deux, et se levant pour s’en aller : « Ah çà ! dit-elle, habillez-vous, venez dîner, et que M. de Bellegarde ne s’aperçoive de rien ; car vous êtes de vrais enfants. » Mon mari, en reconduisant ma mère, me dit qu’il alloit s’habiller, et qu’il reviendroit me voir ensuite.