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n’être point interrompus, nous nous mîmes d’abord à faire de la musique, et ensuite il me parla des spectacles où il va souvent et où il voudroit que j’allasse. Nous cherchâmes ensemble des moyens d’y parvenir sans choquer ma mère ; il étoit d’avis que je prisse sur moi d’y aller et de m’autoriser de l’usage, sans égard pour le chagrin de ma mère qu’il trouve déraisonnable, et qui par là, dit-il, ne mérite pas qu’on y cède. Voilà un principe, ma cousine : je crois que vous m’avez dit qu’il n’en avoit point. Il est vrai que l’application m’en paroit déplacée, parce que nous ne sommes pas encore capables ni l’un ni l’autre de juger de nos pères et mères ; lui l’est pourtant plus que moi, et je trouve que j’ai eu bien du mérite à ne lui pas céder ; car indépendamment de ce qu’il appuyoit toutes ses raisons d’exemples et d’usages bien séduisants, j’avois à combattre l’empire qu’il a sur moi, le désir de le suivre, celui de ne pas le perdre de vue, et un peu de honte, s’il faut l’avouer, de ne pas faire comme toutes les femmes que je vois. Enfin je lui ai promis de tenter encore, en causant avec ma mère, d’arracher son consentement : je ne sais comment je m’y prendrai ; j’aurois bien des choses à lui dire qui me tiennent beaucoup plus à cœur que celle-là, comme, par exemple, l’aigreur qu’elle met dans tout ce qu’elle dit à mon mari, la prévention qu’elle a contre lui et qui fait qu’elle est toujours d’un avis contraire au sien. Mais je n’ose rien tenter, car, si elle prenoit mal mes représentations, elle se préviendroit peut-être aussi contre moi, et alors je n’aurois plus de crédit à employer pour lui dans l’occasion. Il faut donc que je ménage mon oncle et ma mère, et que je ne me mêle point de les contrôler. Quant à mon oncle, que je veux m’habituer à