Il étoit sans doute difficile que M. d’Épinay, l’aîné des fils de M. de Bellegarde, qui achevoit ses exercices, vît sa cousine sans éprouver un sentiment dont tout autre moins jeune auroit eu de la peine à se garantir.
M. de Bellegarde crut qu’en faisant voyager son fils pour le service de sa place, il arrêteroit, dans ses commencemens, un amour que la disproportion de fortune faisoit, aux yeux de madame de Bellegarde, un devoir de combattre, tandis que madame de Roncherolles ne pouvoit s’imaginer que l’on osât supposer seulement le mariage de sa nièce avec tout autre qu’un gentilhomme ; et, revenant à un ancien projet qu’elle avoit eu autrefois : « Si M. et madame de Bellegarde, disoit-elle, sont un peu susceptibles de quelques sentimens glorieux, pourquoi ne leur proposeroit-on pas de mettre leur fils dans le service, et de lui faire alors épouser mademoiselle d’Esclavelles, à condition qu’il prendroit ses armes et son nom. » Mais madame de Bellegarde, qui étoit l’obstacle le plus invincible à ce mariage, étant venue à mourir[1], son mari, homme excellent, mais faible, consentit, peu de temps après, à couronner un amour dans lequel son fils avoit peut-être mis plus d’extravagance que de véritable passion. Émilie étoit alors âgée de vingt ans.
J’avois été obligé de quitter Paris pour quelques affaires ; ma pupille m’écrivit, lorsque cette union fut tout à fait arrêtée, de hâter mon retour. J’arrivai le jour de la signature du contrat ; elle le passa dans les larmes,
- ↑ Madame la Live de Bellegarde, née Marie-Josèphe Prouveur, était morte subitement d’une angine, en 1740, à sa campagne d’Épinay. C’était une femme un peu dure et de morgue, qui faisait sentir son opulence et ne se consolait pourtant pas de n’être qu’une financière.