Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.

faire vous-même. Il ne faut renoncer à rien qu’à votre foiblesse et à une peur déplacée, puisque vous voyez bien qu’il ne tient qu’à vous de mener tous ces gens-là.

— Laissez-moi me reconnoître, me dit-elle, et écrire à Francueil. » Je l’ai ramenée dans sa chambre, et je suis revenue dans le salon, pour voir un peu ce qui s’étoit passé pendant mon absence : je n’y ai trouvé que le chevalier. Après avoir causé un moment avec lui, j’allai retrouver Émilie. Elle n’avoit encore écrit que quatre lignes, et elle étoit dans une rêverie profonde. « Je ne sais où j’en suis, me dit-elle ; écrivez pour moi, mandez-lui tout, je n’en ai pas la force, » et j’ai pris la plume. Maintenant, pour peu que vous m’aidiez, notre cher ami, je ne désespère pas de ramener Émilie à prendre une contenance décidée, et telle qu’il lui convient de l’avoir. Mandez-moi si votre voyage sera aussi long que vous l’avez craint d’abord. Je ne serois pas fort étonnée que M. d’Épinay n’abrégeât le sien. Bonjour, monsieur ; nous attendons de vos nouvelles avec impatience. Vous pouvez continuer à m’adresser vos lettres, elles ne courent aucun risque.


SUITE DU JOURNAL D’ÉMILIE.

Le 2 janvier 1750

Je suis au bout de ma patience, et je n’y tiens plus. Je ne sais que devenir depuis le retour de mon mari ; il continue à mener une vie toujours dissipée ; il ne me donne rien, pas même pour mon entretien le plus nécessaire, et, ce qui m’étonne, c’est que, malgré son désordre, il paroisse jaloux de moi. Il l’est jusqu’à m’épier. Il me