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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.

de raisons de ne jamais revoir, et surtout depuis que je lui ai fermé ma porte. » Il le jura, protesta et fît tous les serments qu’on voulut ; mais il revenoit sans cesse à la crainte que ses parents n’en sussent quelque chose.

J’ai fait consentir ma malade à écrire à M. de Lisieux : elle m’a dicté quatre mots avec bien de la peine. Mais je lui ai fait sentir qu’il falloit de toute nécessité avoir dans cette affaire un témoin de poids ; elle m’a chargée de lui détailler le repentir de son mari, et la promesse qu’elle lui a faite d’un secret inviolable ; elle a poussé la délicatesse jusqu’à dire à son mari que M. de Lisieux étoit le seul à qui elle n’eût rien caché. Il a voulu se fâcher, mais la crainte qu’elle ne parlât encore lui a fait promptement changer de ton ; il n’y a sorte de bassesses qu’il ne fasse pour l’engager à se taire. Ah ! le vilain homme ! Vous pouvez nous venir voir, mon chevalier, tout comme à l’ordinaire. Ayez seulement, en arrivant, l’air étonné de m’y trouver encore. Bonjour.


SUITE DU JOURNAL.

Le 24 février.

Quel chaos dans mon âme ! Quel bouleversement dans mes idées ! Quelle révolution s’est faite en moi ? J’étois, sans le savoir, la victime d’une maladie horrible. C’est à mademoiselle d’Ette que j’en dois la conviction, et le courage d’y avoir remédié. Le premier moment de cette certitude m’a causé un désespoir affreux : il m’a semblé que tout lien étoit à jamais rompu entre M. d’Épinay et moi. Quand le divorce auroit été prononcé sur nous, et m’eût laissée à la merci dune nouvelle passion, qui eût