Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/108

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en le prenant par le bras et le poussant vers mon lit. — N’avancez pas, monsieur, lui criai-je ; si l’un de vous a la hardiesse d’approcher, je ne réponds point jusqu’où peut aller ma colère. » Alors je sonnai de nouveau ; les domestiques arrivèrent. M. d’Épinay se retira en répétant au chevalier : « Je te dis qu’elle est fâchée, aussi, tu ne veux pas me croire. Tu n’as qu’à revenir demain. » Jugez de l’indécence de leurs propos et de l’état de leurs têtes. Les domestiques qui entrèrent les déterminèrent à sortir. Je fis alors fermer ma porte à double tour. Il est sept heures, et je suis encore toute tremblante.

Comment envisager à présent ces deux hommes ? Mais il n’y a donc plus de mœurs ! Quoi ! ne pas même respecter sa femme ! Ah ! si par malheur leur début eût été plus honnête, que je n’eusse pas eu de défiance ! que je me fusse endormie ! Mon cher tuteur, ma tête s’égare, en vérité. Quelle partie ont-ils été faire à Versailles ? Car il faut avoir d’avance l’imagination prodigieusement échauffée ; ou est-ce le désordre habituel ?

Je n’ai plus la force d’écrire.


Le soir.

Mon mari est entré chez moi dans la matinée, et s’est jeté à mes genoux en me conjurant d’oublier son imprudence. « Votre imprudence ! lui ai-je dit : monsieur, vous êtes bien modéré dans la qualification de vos torts ; vous m’avez fait la plus cruelle insulte qu’une femme puisse jamais éprouver ; vous avez mis l’amertume dans mon âme ; elle est flétrie pour toujours, puisque je vois à quel homme j’ai le malheur d’être unie. Voilà qui est fini, monsieur ; il n’y a plus rien à démêler entre vous et moi : tous les liens sont rom-